Extrait de l'introduction à La fonction de l'orgasme, de Wilhelm Reich, écrit en 1945. (L'Arche, Paris, 1986, pages 14-16.)
La théorie de l'économie sexuelle peut s'exprimer en quelques phrases :
La santé psychique dépend de la puissance orgastique, c'est-à-dire de la capacité de se donner lors de l'acmé de l'excitation sexuelle, pendant l'acte sexuel naturel. Sa base est l'attitude caractérielle non névrotique de la capacité d'aimer. La maladie mentale est le résultat d'un désordre dans la capacité naturelle d'aimer. Dans le cas de l'impuissance orgastique, dont souffrent la majorité des humains, l'énergie biologique est inhibée et devient ainsi la source de toutes sortes de comportements irrationnels. La guérison des troubles psychiques exige en premier lieu le rétablissement de la capacité naturelle d'aimer. Elle dépend autant des conditions sociales que des conditions psychiques.
Les troubles psychiques sont les effets des perturbations sexuelles qui découlent de la structure de notre société. Pendant des milliers d'années, ce chaos a favorisé l'entreprise qui tendait à soumettre les individus aux conditions existantes par l'intériorisation de contraintes extérieures imposées à la vie. Son but est d'obtenir l'ancrage psychique d'une civilisation mécanisée et autoritaire en ôtant aux individus leur confiance en eux-mêmes.
Les énergies vitales, dans des conditions naturelles, ont une régulation spontanée, excluant les formes obsessionnelles du devoir et de la moralité. Ces formes obsessionnelles révèlent à coup sûr l'existence de tendances anti-sociales. Le comportement anti-social naît de pulsions secondaires qui doivent leur existence à la répression de la sexualité naturelle.
L'individu élevé dans une atmosphère de négation de la vie et du sexe acquiert un plaisir-angoisse (la peur de l'excitation de plaisir) qui est représenté physiologiquement par des spasmes musculaires chroniques. Ce plaisir-angoisse est le terrain sur lequel l'individu recrée les idéologies qui nient la vie et qui forment les bases des dictatures. C'est le fondement de la peur de vivre d'une manière libre et indépendante. Il devient la source où toutes les activités politiques réactionnaires, où tous les systèmes de domination d'un individu ou d'un groupe sur une majorité de travailleurs puisent leur force. C'est une angoisse bio-physiologique. Elle constitue le problème central de la recherche psycho-somatique. Jusqu'à présent, ce fut là le plus grand obstacle à l'investigation portée dans le domaine des fonctions vitales involontaires que le névrosé éprouve comme quelque chose d'étrange et d'effrayant.
La structure caractérielle de l'homme d'aujourd'hui (qui perpétue une civilisation patriarcale et autoritaire vieille de quelque quatre à six millénaires) est marquée par une cuirasse contre la nature en lui-même et contre la misère sociale extérieure à lui-même. Cette cuirasse du caractère est à la base de la solitude, de l'insécurité, du désir ardent d'autorité, de la peur de la responsabilité, de la quête d'une mystique, de la misère sexuelle, de la révolte impuissante, de la résignation à un type de comportement pathologique et contraire à la nature. Les êtres humains ont adopté une attitude hostile contre ce qui, en eux-mêmes, représente la vie, et se sont éloignés d'elle. Cette aliénation n'est pas d'origine biologique, mais d'origine sociale et économique. On ne la trouve pas dans l'histoire humaine avant le développement de l'ordre social patriarcal.
Depuis lors, le devoir a remplacé le plaisir naturel de travailler et d'agir. La structure caractérielle moyenne des êtres humains s'est modifiée dans la direction de l'impuissance et de la peur de vivre, de sorte que les dictatures ont pu, non seulement trouver un terrain pour s'y établir, mais se justifier en mettant l'accent sur les attitudes humaines existantes, telles que le manque de responsabilité et l'infantilisme. La dernière catastrophe internationale est l'effet ultime de cet éloignement de la vie.
La formation du caractère sur un mode autoritaire a pour point de départ, non pas l'amour parental, mais la famille de type autoritaire. Son principal instrument est la suppression de la sexualité chez l'enfant et chez l'adolescent.
En raison de la cassure qui s'est produite dans la structure caractérielle de l'homme d'aujourd'hui, on tient pour incompatibles la nature et la culture, l'instinct et la morale, la sexualité et l'accomplissement de soi. Cette unité de la culture et de la nature, du travail et de l'amour, de la morale et de la sexualité, que l'humanité attend depuis toujours, cette unité restera un rêve aussi longtemps que l'homme ne permettra pas la satisfaction des exigences biologiques de l'accomplissement sexuel naturel (orgastique). Jusque-là, la vraie démocratie et la liberté responsable demeureront une illusion, et la soumission sans espoir aux conditions sociales existantes caractérisera la vie humaine ; l'anéantissement de la vie prévaudra, ne fût-ce que dans l'éducation obsessionnelle, dans les institutions sociales obsessionnelles, ou dans les guerres.
Dans le domaine de la psychothérapie, j'ai mis au point la technique de la
végétothérapie caractéro-analytique. Son principe fondamental est la
restauration de la motilité bio-psychique par la dissolution des rigidités («
cuirassements ») du caractère et de la musculature. Cette technique
psycho-thérapeutique a été vérifiée expérimentalement par la découverte de la
nature bio-électrique de la sexualité et de l'angoisse. La sexualité et
l'angoisse sont les directions opposées de l'excitation dans l'organisme
biologique : l'expansion du plaisir et la contraction de l'angoisse.
La formule de l'orgasme qui régit l'investigation de l'économie sexuelle est la
suivante : TENSION MÉCANIQUE —> CHARGE BIO-ÉLECTRIQUE
—> DÉCHARGE BIO-ÉLECTRIQUE
—> RELAXATION MÉCANIQUE. Elle se trouve être la formule du fonctionnement du
vivant en général. Cette découverte a mené à la recherche de l'organisation de
la substance vivante dans la substance non vivante, c'est-à-dire à l'étude du
bion expérimental, et plus récemment encore, à la découverte de la radiation de
l'orgone. Les recherches sur le bion ouvrirent une nouvelle voie d'approche au
problème du cancer et de certains autres troubles du système neuro-végétatif.
Le fait que l'homme est la seule espèce qui ne suive pas la loi naturelle de la
sexualité est la cause immédiate d'une série de désordres dévastateurs. Le refus
social de la vie aboutit à la mort en masse dans les guerres, de même que dans
les troubles psychiques et somatiques du fonctionnement vital.
Le processus sexuel, c'est-à-dire le processus biologique expansif du plaisir,
est le processus vital producteur en soi.
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