(in "Oppression et liberté", éd. Gallimard, 1967. Première publication en 1934)
"L'Etonnement est le père de la sagesse." Platon
"En ce qui concerne les choses humaines, ne pas rire, ne pas pleurer,
ne pas s'indigner, mais comprendre." Spinoza
"L'homme commande à la nature en lui obéissant."
Bacon
Marx a bien montré que la véritable raison de l'exploitation
des travailleurs, ce n'est pas le désir qu'auraient les capitalistes
de jouir et de consommer, mais la nécessité d'agrandir l'entreprise
le plus rapidement possible afin de la rendre plus puissante que ses concurrents.
(p.60)
"La dégradante division du travail manuel et du travail intellectuel
[est la tare du capitalisme]" Karl Marx. Cette division est la base même
de notre culture, qui est une culture de spécialistes. (p.62)
Comme Rousseau l'avait déjà compris, aucun système d'oppression
n'a intérêt au bien être des opprimés ; c'est sur
la misère que l'oppression peut peser le plus aisément de tout
son poids.
La grande idée de Marx, c'est que dans la société aussi
bien que dans la nature rien ne s'effectue autrement que par des transformations
matérielles [...] il faut connaître les conditions matérielles
qui déterminent nos possibilités d'action, et dans le domaine
social ces conditions sont définies par [...] le mode de production.
(p.67)
Tant qu'il y aura une société, elle enfermera la vie des individus
dans des limites fort étroites et leur imposera ses règles ; mais
cette contrainte inévitable ne mérite d'être nommée
oppression que dans la mesure où, du fait qu'elle provoque une séparation
entre ceux qui l'exercent et ceux qui la subissent, elle met les seconds à
la discrétion des premiers et fait ainsi peser jusqu'à l'écrasement
physique et moral la pression de ceux qui commandent sur ceux qui exécutent.
(p.79)
La bonne volonté éclairée des hommes agissant en tant qu'individus
est l'unique principe possible du progrès social. (p.84)
Par un cercle sans issue, le maître est redoutable à l'esclave
du fait même qu'il le redoute et réciproquement. (p.91)
C'est ce renversement du rapport entre le moyen et la fin (cf. aussi p.146),
c'est cette folie fondametale qui rend compte de tout ce qu'il y a d'insensé
et de sanglant tout au long de l'histoire. L'histoire humaine n'est que l'histoire
de l'asservissement qui fait des hommes, aussi bien oppresseurs qu'opprimés,
le simple jouet des instruments de domination qu'ils ont fabriqués eux-mêmes.
(p.95)
La contradiction interne que tout régime oppressif porte en lui comme
un germe de mort est constituée par l'opposition entre le caractère
nécessairement limité des bases matérielles du pouvoir
et le caractère nécessairement illimité de la course au
pouvoir en tant que rapport entre les hommes. (p.103)
Le spectacle de l'ouvrage inachevé attire l'homme libre aussi puissamment
que le fouet pousse l'esclave. (p.132)
En résumé, la société la moins mauvaise est celle
où le commun des hommes se trouve plus souvent dans l'obligation de penser
en agissant, a les plus grande possibilités de contrôle sur l'ensemble
de la vie collective et possède le plus d'indépendance. (p.136)
Marx donnait comme caractéristique essentielle de l'homme, par opposition
avec les animaux, le fait qu'il produit les conditions de sa propre existence
et ainsi se produit indirectement lui-même. (p.141)
Jamais l'individu n'a été aussi complétement livré
à une collectivité aveugle, et jamais les hommes n'ont été
plus incapables non seulement de soumettre leurs actions à leur pensées,
mais même de penser. (p.142)
Il s'agit à présent dans la lutte pour la puissance économique
bien moins de construire que de conquérir [...] les moyens de la lutte
économique, publicité, luxe, corruption, investissements formidables
reposant presque entièrement sur le crédit, écoulement
de produits inutiles par des procédés presques violents, spéculations
destinées à ruiner les entreprises rivales, tendent tous à
saper les bases de notre vie économique bien plutôt qu'à
les élargir. (p.150)
L'esclavage avilit l'homme jusqu'à s'en faire aimer ; la liberté
n'est précieuse qu'aux yeux de ceux qui la possède effectivement.
(p.153)
Chacun croit que la puissance réside mystérieusement dans un des
milieux où il n'a pas accès, parce que presque personne ne comprend
qu'elle ne réside nulle part. Là où les opinions irraisonnées
tiennent lieu d'idée, la force peut tout. (p.154-5)
Réagir contre la subordination de l'individu à la collectivité
implique que l'on commence par refuser de subordonner sa propre destinée
au cours de l'histoire. (p.162)