Manifeste pour déchirer les ténèbres

            Lucide comme l'historien on peut ricaner de l'interminable suicide d'une espèce distraite. Mais on ne peut dans le même temps échapper à la nostalgie ni aux larmes, quand les femmes -- sans lesquelles ne vaut la peine de s'exercer à exister -- se font la proie volontaire de la crétinisation de masse et de son idéologie cosmétique. Même les éblouissantes Allemandes ont capitulé, qui furent le porte-drapeau de la Freikörperkultur. Peut-être, objecterez-vous, trouvera-t-on encore des femmes qui vous mettent à l'envers chez quelque paysanne du Portugal, de Chine ou de Silésie ? N'en jurez pas. Elles regardent la tivi et lisent la presse anti-féministe hebdomadaire qui les met au pas.

            Songez que la soumission d'Hollywood à la misogynie de l'Église romaine a conduit les regards à idéaliser ce contre-sens : la femme glabre comme une poupée de celluloïd. Scandale pur. Entendez, obstacle pour la pensée et problème à résoudre : celui de la victoire du censeur qui dans l'effroi trébuche, et condamne.
            Naguère encore, il était entendu par l'homme et par la femme, que celle-ci portait avec orgueil ses crinières axillaires. Il était entendu, sans qu'on ait eu à l'apprendre en Leçons de Choses à l'école, que la touffe qui loge en l'aisselle est un triple messager :
- envers elle-même d'abord puisque, même disciplinée à un petit bouquet, c'est elle, et non le seul dessin des muscles ni la proximité du sein qui confère à ce creux sa géométrie, sa profondeur bouleversante et sa lumière.
- Envers tout homme ensuite, à qui elle démontre quel vertigineux piège à parfums ce lieu de bises combine, auquel seul l'insensé se dérobe.
- Enfin, prime donnée à l'imagination elle anticipe violemment et doucement l'autre broussaille.
            Voici pourquoi nous, hommes de culture et de raison, fûmes unanimes à conchier les gélatines chauve de Rubens car, pour s'en épater comme Ovide : Timor axillae crinis conturbavit nos.(1)
         
    Nulle redoute alors aujourd'hui pour abriter l'odor di femina (2) chez ces femmes, belles sans doute, mais si pasteurisées qu'elles ont autant d'âme qu'un lavabo. Il ne reste maintenant à Montréal qu'une poignée d'héroïnes obscures et intègres dont les poils au printemps me consolent. Ailleurs ? Voilà quinze ans déjà, on commença de repérer dans l'Europe à son tour contaminée, l'injugulable désertification de ses creux axillaires, ce symptôme d'un épidémie mentale.

            Convainquez-vous que c'est d'une écologie de l'esprit que je vous entretenais. Que chacun alors dans un sursaut se dresse et fasse barrage à Mickey, Play-Boy et Nivéa.
            Réveillez-vous, consommateurs fades !

À Montréal.
Éric Bataille
Skieur Nautique Mental 4* dan

(transmis en mai 2007)

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(1) Note de l'auteur : traduction approximative : "la peur des touffes axillaires nous déconcertait". Transposé d'une phrase latine, dont Ovide n'est pas l'auteur.
(2) Note de l'auteur : en savourer la traduction qu'en fait Guillaume Apollinaire dans son roman "les exploits d'un jeune Don Juan".

Vers l'été sans épilation


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