Les données fiables sur la pratique de l'épilation sont fort rares. Nous avons rassemblé ici les chiffres provenant des diverses études scientifiques que nous avons répertoriées.
Aux États-Unis : selon Hope (1982) l’épilation moderne apparaît aux États-Unis à la fin du XIXème siècle, encore marginale elle ne concerne que le visage, le cou et les bras. Ce n'est qu'en 1915 que commence une véritable campagne publicitaire pour inciter les femmes à s'épiler.
L’instauration de l’épilation comme norme s’effectue aux États-Unis en deux décennies, pendant la période 1920-1945. Ce sont d'abord les aisselles qui sont ciblées, puis les jambes. En 1964 Hope obtient les chiffres suivants : 98% des femmes âgées de 15 à 44 pratiquent l’épilation, contre 70% pour celles ayant plus de 44 ans. |
En France : selon Descamps (1986) la pratique de l’épilation traverse l’Atlantique en 1946 accompagnant l’importation des bas en nylon transparent venus des États-Unis. La norme s’érige dans les décennies qui suivent.
En 1972, Descamps observe que 80% des femmes de son enquête s’épilent les jambes, les aisselles et les sourcils (45 étudiantes + 45 femmes mariées avec enfant d’age scolaire). 43% ne s’épilent jambes et aisselles que lorsque celles-ci sont visibles. Toutefois seules 65% des étudiantes s’épilent les aisselles. En 1973 il observe que 73% des femmes interrogées s’épilent les sourcils et 69% les mollets (n=120) et que 73% des femmes mariées “ parisiennes ” (n=30) s’épilent les aisselles. Descamps comptabilise également plus en détail les différentes parties du corps épilées ainsi que les raisons avancées par les femmes pour s’épiler ou non.
Aux États-Unis, Basow (1991) comptabilise 81% de femmes (de 20 à 81 ans) qui s’épilent les jambes et/ou les aisselles. Son échantillon de quelques centaines de femmes sur-représente quelque peu les féministes et les lesbiennes ce qui expliquerait probablement, selon l’auteur, ce chiffre relativement faible (mais n’avons nous pas ici affaire à un stéréotype ?)
En Australie, Tiggemann et Kenyon (1998) étudient un échantillon constitué de quelques centaines de collégiennes (age moyen 14 ans) et d’étudiantes (age moyen 22 ans). 92% des jeunes s’épilent les jambes, 91% les aisselles.
En Grande-Bretagne, Toerien, Wilkinson et Choi (2005) ont enquêté un échantillon de 678 femmes de tous ages (mais représentant mal les sous-groupes culturels). La question posée “ avez-vous enlevé des poils de votre corps au moins une fois dans votre vie ? ” donne les résultats suivant : aisselles 99%, jambes 94%, pubis (“ maillot ”) 86%, sourcils 82%. Les autres zones du corps sont nettement moins présentes (moins de 41%). Les auteurs observent un effet de l’age qui s’interprète comme une augmentation de la prévalence de la norme au cours des décennies antérieures. Elles montrent également que la pratique commence dès l’adolescence (49% des femmes pratiquaient déjà à 13 ans, 85% à 16ans).
En France, Patinel (2006) enquête deux échantillons d'étudiantes
vivant en région parisienne.
Concernant l'épilation des aisselles : 87% des jeunes femmes déclarent la pratiquer régulièrement, 12% seulement quand les aisselles sont visibles, 1%
disent ne jamais la pratiquer. (116 étudiantes âgées de 19 à 26 ans (age médian 21
ans).)
Concernant l’épilation des aisselles et des jambes : 80% des jeunes
femmes déclarent la pratiquer régulièrement, 20% seulement quand les
aisselles ou les jambes sont visibles, aucune ne la pratique jamais. (173 étudiantes âgées de 18 à 26 ans (age médian 20 ans).)
Par ailleurs l’épilation semble n’être pas distribuée de façon
homogène en Europe. Les femmes des pays latins la pratiqueraient plus que les
Allemandes et les Scandinaves. Les femmes des pays de l’Est ne pratiquent l’épilation
que depuis la chute du mur de Berlin (1989).
En Afrique la pratique semble rare.
De ce qui précède nous pouvons conclure que l’épilation de certaines zones du corps féminin (aisselles, jambes, "maillot", sourcils) est bien aujourd’hui une norme descriptive dans les pays enquêtés (France, Angleterre, Australie, États-Unis).
Pour pouvoir dire que l’épilation féminine est une norme (comportementale) au sens que la psychologie sociale accorde à ce terme, nous devons montrer qu’elle est prescriptive et qu’elle satisfait aux critères énoncés par Dubois (1994) :
1. La norme de l’épilation concerne un comportement.
2. Elle se définie dans une collectivité donnée : en effet l’épilation féminine n’est pas prescrite dans toutes les sociétés. Les études sociologiques déjà présentées montrent que, par exemple, en France elle n’était pas pratiquée de façon majoritaire avant les années 50.
3. L’épilation fait l’objet d’une attribution de valeur. C’est la conclusion a laquelle parviennent Toerien et Wilkinson (2004) : le fait d’être glabre ou poilue construit un système dichotomique : tout positif ou tout négatif. Cela est également vérifié par Patinel (2006) à partir de la présentation d'une personne non conforme : celle-ci est majoritairement évaluée négativement quelque soit le mode d'évaluation (qualification, attribution de traits de personnalité, attribution d'utilité sociale).
4. L’épilation n’est pas réalisée sous l’effet de contraintes institutionnalisées. S’il arrive parfois qu’une employée perde son emploi pour ne pas s’y être conformé (cas rapportés par exemple par Toerien et Wilkinson, 2003, p.338), il s’agit de faits isolés et relevant de règles non écrites.
5. L’attribution de valeur est indépendante de tout critère de vérité : il n’y a pas plus de “ vérité ” (au sens d’une nécessité naturelle) a être poilue ou glabre. L’épilation ne résulte pas du fonctionnement “ naturel ” de l’organisme. Il n’y a pas de vérité dans les arguments invoqués en faveur de l’épilation (esthétique, hygiène, soin…).
Le caractère prescriptif de l’épilation a été vérifié par Patinel (2006) en posant directement la question à 300 étudiantes (age médian 21 ans) : 59% des étudiantes prescrivent une épilation des aisselles et des jambes régulière, 37% seulement quand les aisselles et les jambes sont visibles, 3% ne la prescrivent pas, 1% n’ont pas répondu à la question.
Nous pouvons en conclure que ce que la norme prescrit c'est avant tout de ne pas montrer de poils.
En psychologie sociale le contrôle social se définit comme une sanction informelle (regard désapprobateur, remarque désobligeante...) adressée à une personne non conforme.
En présentant un scénario mettant en scène la rencontre d'une jeune femme visiblement non épilée, Patinel (2006) observe que 34% des jeunes femmes déclarent qu'elles procéderaient à une forme ou une autre de contrôle social. Par ailleurs 43% d'entre elles se déclarent affectées d’une manière ou d’une autre par le comportement de la déviante tandis que, à l'opposé, 23% affirment spontanément sa liberté de choix. (Échantillon de 173 étudiantes (age médian 20 ans).)
Toutes les références citées sur cette page sont listées dans la bibliographie concernant l'épilation.