(Article paru dans La Tribune de Genève le 28 juin 2005 ; page 25 ; Genève ; La Vie.)
Les températures tombent, les poils disparaissent. Comme chaque année avec
l'arrivée des beaux jours, les femmes ressortent leurs rasoirs, leurs machines à
épiler ou se rendent chez l'esthéticienne.
« Aliénation, bourrage de crâne, propagande publicitaire », hurlent en cœur le
Mouvement pour un parti matriarcal et le Mouvement international pour une
écologie libidinale (MIEL). Alors même que de plus en plus d'hommes traquent
leurs poils, ces deux organisations françaises confidentielles et subversives
viennent de lancer un Manifeste en faveur d'un été sans épilation (et sans
rasage) à destination de la gent féminine.
Histoire de tordre le cou à quelques idées reçues. « Dans les années 70, seule une minorité de femmes s'épilait ; les féministes revendiquaient le droit à disposer de leur corps. Aujourd'hui, cela concerne l'immense majorité, comme si c'était une évidence », constate [le MIEL].
Selon lui, la « mode » de l'épilation, et en particulier de l'ESB (épilation
sous les bras, à ne pas confondre avec encéphalite spongiforme bovine) n'a pas
d'autre but que de faire du bénéfice sur le dos des femmes. Ou plutôt sous leur
bras. « En même temps que les féministes avançaient sur le plan juridique,
concernant la contraception ou l'avortement par exemple, elles perdaient du
terrain au niveau de la colonisation des esprits. »
Affirmatif. Mais les dessous de bras velus, est-ce que ça ne sentirait pas un
peu le vestiaire en été ? Le MIEL réfute en bloc. « Les poils ont pour fonction
naturelle de réguler la sudation et la température de la peau. En réalité, une
femme aux aisselles lisses transpire davantage, ce qui l'oblige à utiliser un
désodorisant ... Pour ne pas sentir mauvais, il suffit de se laver. »
L'affirmation a le don de faire bondir Christiane Biondi, patronne du salon
Beauté Actuelle à Plainpalais. « Sans vouloir passer pour coquette, je pense que
l'épilation fait entièrement partie de l'hygiène de la peau. Comme d'enlever ses
points noirs ou de se mettre de la crème solaire, parce que si le soleil est
naturel, les coups de soleil aussi !» L'esthéticienne retourne la question:
«Pourquoi les hommes se rasent-ils la barbe si ce n'est pas pour le paraître,
par
mesure d'hygiène où pour le simple bien-être ?» Qu'en pensent ces messieurs ?
«C'est une pratique millénaire. Même si tous les hommes ne se rasent pas en
permanence. Il y a des barbus et des moustachus, cela ne choque personne »,
répond [le MIEL].
Et lui, préfère-t-il les gambettes poilues ? « Disons
que je les aime mieux au naturel. Quand ça pique, c'est désagréable. »
Les hommes ne sont pas tous contaminés par les canons esthétiques véhiculés par
la publicité ou l'industrie des cosmétiques. « Certains d'entre eux réagissent
très bien à un corps féminin non apprêté », estime Cécile, une nana non épilée
et fière de l'être. « En revanche, le regard des femmes est nettement plus
blessant ; elles ne comprennent pas qu'on puisse choisir de ne pas s'arracher
les poils. »
Une récente visite de l'exposition consacrée aux dessins érotiques de Gustav
Klimt, au musée Maillol à Paris, l'a confortée dans ce sens. « Toutes les femmes
dont on voit les aisselles sont parées d'une merveilleuse et délicate toison.
Croyez-moi, les croquis sont très fins et sensuels, loin de l'image de la femme
moche et puante que véhicule le merchandising de l'épilation. »
Odile a 39 ans et ne s'est jamais rasée sous les bras. « Je tiens à mes
poils. Au
moment de la puberté, j'en surveillais la pousse avec autant d'impatience que
celle
de mes seins », assure-t-elle. Seulement voilà, le regard des autres a
transformé ce
qu'elle considérait comme un choix personnel, sans enjeu particulier, en
déviance. «
On éprouve une sorte de honte, alors on évite les T-shirts sans manches, par
exemple. »
Après avoir songé à s'épiler pour se simplifier la vie, Odile a repris du poil
de la
bête, si on ose dire, pour faire son coming out. « Ces contraintes normatives,
générées notamment par la publicité, me sont apparues comme une limitation
inacceptable de ma liberté. Me mettre en débardeur est devenu un acte politique.
Un
acte militant. »
www.ecologielibidinale.org
CHRISTIANE PASTEUR
Patti Smith, sur la pochette de son album « Easter ». L'une des rares stars à
oser
arborer des aisselles ombragées. Preuve que la dictature de l'épilation
fonctionne.
(LYNN GOLDSMITH)
© Tribune de Genève; 28.06.2005; page 25