(article paru dans la revue Sexpol n°10, novembre 1976, pages 9 à 15)
L'A.A. Kommune - A.A. pour « action-analyse -, vous connaissez pour avoir sans doute lu dans Sexpol n° 8 le témoignage direct qu'en rapportait un ami grenoblois, Stéphane Gin. Témoignage pour le moins négatif, même si des aspects positifs étaient relevés. Aussi ne fûmes-nous pas étonnés que des « communards AA » nous fassent savoir leurs réactions tout en nous proposant d'en parler plus longuement. Ce qui fut fait en juin dernier à Sexpol même avec quatre membres de la commune de Genève.
• Tiens, vous fumez...
- Louis : On fume un peu...
- Catherine : C'est-à-dire qu'on a arrêté
de fumer il y a une semaine exactement ; on a déjà arrêté
plusieurs fois et puis là, comme on est loin de la commune, c'est aussi
vachement plus difficile.
• Vous ne fumez pas là-bas ?
- Louis : ...on fume tout en étant parfaitement conscients
de ce que ça veut dire fumer mais, effectivement, de temps en temps on
se laisse de nouveau aller à fumer ; la plupart des gens de la commune
étaient de gros fumeurs et maintenant le sont beaucoup moins.
• Et à part le tabac ?
- Louis : Pratiquement rien ; il arrive de temps en temps que
si quelqu'un nous amène un peu d'herbe, un truc comme ça... C'est
exceptionnel.
• Ce n'est pas interdit ?
- Judith : Rien n'est interdit ; c'est le seul endroit au monde
où l'on puisse faire absolument tout ce qu'on veut.
- Louis : II n'y a pas d'interdictions, pas de règlement,
rien.
• Qu'est-ce que c'est « faire tout ce qu'on veut » ?
- Judith : On a beaucoup de mal au début à s'imaginer
qu'on peut faire tout ce qu'on veut ; on a beaucoup de mal à savoir ce
qu'on veut.
- Louis : Quand tu sais ce que tu veux et que tu vis dans un
groupe de 25 ou 40 et même 80 personnes, il y a des moments où
tu peux emmerder les gens ; à partir de ce moment-là, comme un
de nos principes c'est de tout dire — ou ne rien cacher —, c'est clair qu'à
chaque moment tu peux avoir en face de toi une personne qui te dit que tu l'emmerdes
; ça peut même être tout le groupe ; là il y a un
affrontement ; c'est à toi de savoir à quel moment tu fais un
truc hostile au groupe, ou même nuisible selon que tu n'as pas conscience
d'une certaine agressivité en toi. Par exemple, le type qui décide
tout seul d'aller au cinéma et qui prend vingt balles dans la caisse
: il peut le faire, personne ne va l'empêcher ; mais il y a de fortes
chances qu'après on va lui dire : pourquoi t'en as parlé à
personne ? Qu'est-ce que ça signifie ? Parce qu'il n'est pas seul à
vivre. Alors à partir de ce moment-là, si le type reproduit en
lui une situation de son enfance où il serait parti au ciné sans
la permission de son papa et de sa maman, il risque fort de croire très
vite que le groupe l'empêche d'aller au cinéma.
- Judith : Un des principes fondamentaux de la commune, c'est
de tout montrer de ce qu'on est, exprimer toutes ses émotions. En cachant
des choses, on s'écarte du groupe, on peut devenir très asocial.
C'est là que doit intervenir la pratique de selbsdarstellung
(s d l en abrévié) qui veut justement dire se montrer entièrement
soi-même, s'exprimer.
- Catherine : Au départ on fait des sdl le soir ; on
est tous en rond, une personne va au milieu et s'exprime ; mais le but c'est
vraiment de s'exprimer toute la journée. Et moins on a d'agressivité,
plus on peut s'exprimer de façon positive, de façon sociale -
même dans la rue et dans la société.
• Chacun son tour, voulez-vous nous dire pourquoi vous avez rejoint
la commune, à quel moment vous avez pris cette décision, depuis
combien de temps vous y êtes, etc.
- Louis : Moi, j'ai entendu parler de la commune en juillet
75 lorsque la copine avec qui je vivais dans une communauté est partie
là-bas ; et puis quand j'ai lu les premiers articles sur la commune,
j'étais très très sceptique : je croyais moi aussi que
c'était un truc très sectaire et je ne voulais pas en entendre
parler. Et puis, je vivais seul après avoir été marié.
J'avais pas mal de difficultés avec les bonnes femmes ; je ne me sentais
pas très bien, je ne voulais pas reprendre une expérience de couple
; la libre sexualité dans cette société est très
difficile à vivre : jalousie, relations pratiquement insolubles... Et
puis j'y suis parti, sans vraiment savoir ce que j'allais y trouver ; j'y suis
allé une première fois trois jours et j'ai vu 50, 60 personnes
qui vivaient ensemble de manière totalement géniale ; ça
m'a complètement flashé1, je me suis dit : il y a vraiment
un truc qui se passe, faut que je revienne. J'ai eu effectivement très
peur : c'est la première fois que je me trouvais dans un groupe comme
ça, très constitué ; se joindre à 60 personnes,
c'est pas facile, ça demande beaucoup de travail sur soi-même.
Un mois après je suis revenu passer trois semaines et puis les copains
de Genève venaient, à six-sept, de commencer une nouvelle commune.
Et j'ai fait mon choix : je ne voulais plus continuer à bosser comme
une bête... J'ai 27 ans.
• Que faisais-tu comme boulot ?
- Louis : Architecte. Depuis pas mal d'années je faisais
des critiques sur le système de production, les rapports entre les gens...
• T'étais militant ?
- Louis : Ouais, j'ai milité pas mal, tous azimuts...
Au début socialiste libéral, pour me durcir de plus en plus, avec
les trotskystes, etc. Pour finir, je traînais mes savates dans les milieux
anarchistes, sans grande conviction.
Quand j'ai vu ces gens qui arrêtaient de théoriser d'abord pour
mettre en pratique quotidienne ce qu'ils voulaient vivre, c'est-à-dire
vivre en propriété collective, bannir la propriété
privée, ne plus rentrer dans ces histoires de couples et être capable
d'avoir des rapports sexuels égaux avec toutes les bonnes femmes d'une
commune... j'ai voulu le faire et je suis rentré dans le groupe de Genève,
et j'y vis depuis.
- Judith : J'ai 18 ans ; ça fait seulement quatre mois
et demi que je suis dans la commune et je me rends compte que j'ai déjà
énormément changé. J'y suis allée d'abord pour des
raisons assez... louches. Je viens d'une famille marginale, totalement libérale,
gauchiste : mes parents sont très jeunes, font du cinéma, etc.
J'ai arrêté d'aller au lycée très tôt car ça
me faisait complètement chier ; je faisais ce que je voulais...
• ... déjà !
- Judith : En fait' j'étais très intéressée
par n'importe quelle thérapie, je voulais partir à Los Angeles
pour faire une thérapie primale2 ; et puis je ne savais pas
très bien comment me tirer de mes parents : c'est des gens que j'étais
plus ou moins obligée d'aimer puisqu'ils allaient dans mon sens. Au fond,
j'étais très paumée, j'étais à la recherche
de n'importe quoi, comme ça. Et je suis arrivée dans la commune
à Noël, par hasard, parce que j'en avais entendu parler. J'ai été
très bouleversée, par ce que j'ai vu, mais sans bien prendre conscience
de ce que c'était. J'ai compris que c'était un moyen de faire
quelque chose ; ça m'a alors suffi. Depuis, j'ai beaucoup changé
: beaucoup moins intellectuelle, moins axée sur la thérapie, etc.
; je comprends beaucoup plus l'importance de la sexualité, de la propriété
collective. Je n'ai plus du tout la même personnalité qu'avant.
- Thierry : II y a un moment où je suis venu à
Sexpol parce que je m'intéresse aux idées de Reich ; j'ai des
idées libertaires aussi ; je m'intéressais à des projets
de communes. J'ai su que la Commune AA existait tout à fait par hasard,
par un copain qui y était allé, sans y avoir rien compris ; il
m'avait dit : ...oui, euh, ils ont les cheveux coupés comme les Hare
Krishna3. J'ai lu leur brochure et ça m'a beaucoup intéressé
; mais ça me paraissait complètement intellectuel ; alors je me
suis dit faut que je vérifie. J'ai téléphoné à
Vienne et puis j'y ai été, pendant dix jours. Alors là,
ça n'a plus été du tout intellectuel ; il y a eu beaucoup
de choses en moi qui ont éclaté complètement. Maintenant,
pour parler de la Commune de Genève, c'est difficile parce que je n'y
suis que depuis quinze jours et qu'il n'y a pas encore grand chose de bougé
dans ma personnalité ; je suis encore complètement intellectuel,
complètement foutu par ce que j'ai vécu avant, aussi bien dans
mon enfance qu'après. Mais j'entrevois pas de vivre autrement que là-bas
parce que, vraiment, je peux sortir tout ce qu'il y a en moi qui m'a aigri,
démoli, pourri ; je peux commencer à sortir toute cette merde
et essayer à vivre mieux. J'ai aussi 27 ans.
• Tu bossais avant tout ça ?
- Thierry : Non, j'étais au chômage, j'étais
chauffeur de taxi.
• Mais, t'es pas venu nous voir une fois avec ton taxi ?
- Thierry : Bah si !
• J'y suis ! T'avais les cheveux longs... (rires)
je ne t'avais pas reconnu, tu t'es fait comme une esthétique nouvelle...
- Thierry : C'est-à-dire qu'avant j'avais une esthétique
; maintenant je suis..., je suis moi-même : comme dit Catherine, j'ai
une tête d'âne !
- Catherine : Moi, je vivais chez ma mère, j'allais
au collège -j'ai 18 ans. Je me faisais chier ; j'étais complètement
incapable de vivre avec des gens ; je projetais nos histoires sur tout le monde
que je voyais comme mes parents : qu'ils allaient me rejeter et tout. J'avais
jamais baisé ; je ne voulais pas en entendre parler : j'étais
exactement comme ma mère. Tout d'un coup, dans la commune, j'ai eu la
possibilité de baiser ; au début, j'ai pas du tout voulu. Maintenant
ça va de mieux en mieux. C'est super.
Je suis venue à la commune pour une histoire de thérapie aussi
; je voyais que ça et pas du tout le projet social ; j'étais très
asocial, je ne pensais qu'à moi, à me guérir de mes histoires
comme ça. Après j'ai compris beaucoup plus de trucs, que ça
ne servait absolument à rien de me soigner moi et ne pas vivre avec les
autres.
• Bon, maintenant à nous de vous asticoter. Commençons
par les tiffes, c'est ce qui se voit tout de suite. Alors, la boule à
zéro, ça veut dire quoi ? Est-ce une décision du groupe
? Pourquoi ?
- Judith : Parce qu'on est très beaux comme ça
!...
- Louis : II y a une histoire, qui est très simple.
A Vienne, au début, ils avaient les cheveux longs, la barbe et tout,
selon la mode des marginaux. Et puis un beau jour, alors qu'ils travaillaient
au champ, qu'ils construisaient leur village, il y en a un - et je ne crois
pas d'ailleurs que ce soit Otto lui-même qui ait décidé,
contrairement à ce qu'il disait dans Sexpol - y en a donc un qui a dit
: c'est complètement con cette histoire de cheveux, on les a crasseux,
on se les coupe ! Tout ça sans présager de ce que cela signifiait
au fond. Deux ou trois se sont coupés les cheveux ; les autres ont pas
voulu en rester là et en ont fait autant, et particulièrement
les filles qui ont dit : c'est quoi, cette histoire des hommes qui se coupent
les cheveux, pourquoi pas nous aussi ? Et tout le monde l'a fait, en manière
de gag en même temps qu'avec un but pratique. C'est à travers cet
acte plutôt gratuit, à part son côté pratique, que
s'est engagée toute une réflexion sur la signification des cheveux
: on s'apercevait de toute leur importance par rapport aux masques qu'on se
donne, à la féminité, aux symboles sexuels, l'érotisme,
etc. Pour les types aussi : le masque qu'on se donne, l'identification à
un certain milieu, se donner un visage, une apparence de personnalité.
Ils se sont aperçu que les cheveux étaient donc un truc très
très important, qu'on ne se les coupe pas facilement sans conséquences
sur sa propre personne. Une fois ce stade dépassé, les cheveux
n'ont plus la moindre importance ; c'est devenu vachement pratique : en ce moment,
on retape notre maison en France, on travaille très dur, on transpire
; dans la thérapie on transpire beaucoup aussi, on vomit, et si, à
chaque fois on devait se mettre un filet dans les cheveux pour pas que ça
traîne dans la cuvette de vomi... Pour la baise aussi, on s'est aperçu
que...
• Est-ce moins fictif de se donner une image en se coupant les cheveux
que de s'en donner une autre en les laissant pousser ?
- Louis : Quand tu te coupes les cheveux, tu t'enlèves une image, tu
t'en donnes pas une...
• ..Mais si tu laisses faire, ça pousse tout seul ; dans votre
cas, il faut une intervention.
- Louis : Tous les gens qui ont les cheveux longs interviennent
aussi.
• D'accord : laisser-faire c'est aussi une façon de faire ;
mais il y a une différence entre le « va-comme-ça-pousse
» et la boule à zéro des militaires. A l'armée -
moins maintenant peut-être que les gauchistes revendiquent sur ce chapitre
- c'est la brimade « initiatique » ; pour les bizutages c'est aussi
souvent cette forme de castration symbolique ; même chose pour les photos
anthropométriques, etc. Tout ça n'est pas neutre et. de ce point
de vue, votre réponse n'est pas satisfaisante.
- Louis : Avec cette différence qu'on n'est ni au bizutage,
ni à l'armée, ni chez les Hare Krishna...
- Thierry : Moi, si j'ai coupé mes tiffes et ma barbe,
c'est pas du tout pour des raisons d'hygiène mais pour abandonner mon
personnage d'intellectuel gauchiste ; j'ai voulu voir ce que j'étais
vraiment. Je me dissimulais derrière mes cheveux comme derrière
des mots ou même des lunettes.
• T'as l'air d'en avoir soupe aussi des intellectuels... Qu'est-ce
que c'est pour toi, un intellectuel ?
- Thierry : C'est se cacher derrière les mots pour ne
pas exprimer l'émotion.
- Louis : Dans la commune, il y a des ouvriers et des intellectuels
; il se trouve que les ouvriers ont subi des lésions propres à
leur éducation et à leur milieu, des lésions graves, dans
une certaine mesure plus graves que les nôtres - mais finalement moins
hypocrites que dans certains milieux libéraux où on a l'air de
ne pas oppresser les enfants alors qu'on les réprime à tour de
bras ; on s'est aperçu que les enfants d'intellectuels et de bourgeois
ont beaucoup plus de peine à exprimer leurs émotions, à
être spontanés. Les ouvriers qui sont avec nous et leurs enfants
sont beaucoup plus émotionnels ; quand ils sentent quelque chose ils
le disent sans ambages. Moi, comme Judith et Catherine, on est des fils de bourgeois
et on s'est aperçu qu'on avait à surmonter 20 ou 25 ans d'éducation,
de polissage destinés à nous empêcher de nous exprimer,
de crier pour, au contraire, tout expliquer avec la tête ; si bien que
la tête, elle est complètement détachée du reste
du corps.
• Ce que tu nous dis là paraît un peu « maoïste
», dans le sens ouvriériste : l'ouvrier, et lui seul, est spontané
ou capable de l'être. Les blocages des ouvriers « valent »
bien ceux des intellos ; il ne s'agit pas de faire la séparation symétriquement
inversée « corps-tête ».
- Louis : Je veux dire que lorsque les ouvriers sortent quelque
chose d'eux, ce n'est pas pour les remettre à leur place d'une manière
purement cérébrale.
• Pour en revenir aux tiffes — et peut-être pour en finir aussi
— pouvez-vous nous expliquer à quoi correspond ce que vous appelez
« le refus de séduction érotique ?
- Judith : On veut parler des moyens de séduction artificiels : se maquiller,...
• Les cheveux, c'est artificiel ?
- Judith : Non, mais on en a fait quelque chose d'artificiel
: se faire des mises en plis, se coiffer, et puis se maquiller, porter de belles
robes et tout. Quand on sera débarrassé de ça, personne
n'aura plus besoin de se raser les cheveux.
- Thierry : A ce moment-là on pourra se les laisser
repousser et redevenir érotiques.
- Louis : Quand les gens en auront envie, ça sera autre
chose ; ce qu'on dénonce là c'est le rôle totalement artificiel.
Maintenant, ça fait un bon moment qu'on parle de ça — non pas
que ça me gêne, sinon que c'est quelque chose de totalement secondaire
dans la commune.
- Judith : En fait, les gens se fixent là-dessus parce
qu'ils ont l'impression qu'on les force.
• Le témoignage publié dans Sexpol donnait quand même
cette impression.
- Louis : Je n'étais pas là mais je n'y crois pas.
• Mais ce refus de séduction érotique ?
- Louis : Pourquoi avoir recours à ce genre d'artifice
pour avoir un potentiel érotique ? J'ai autant envie de baiser avec elle,
comme elle est ; je sens très bien quelquefois que j'ai envie de baiser
avec des bonnes femmes qui ont des cheveux longs mais qu'à ce moment-là
je suis attiré moins par la personne telle qu'elle est vraiment que par
sa parure, totalement pompeuse. On est capable d'être excité et
excitant sans parure, ça je le garantis ; rien qu'avec notre corps, très
spontanément, très simplement.
- Judith : Nous, en apprenant à nous montrer et à
tout exprimer, on devient très excitantes ; quand on a vraiment envie,
on le montre, on montre tout ce qu'on est, on montre son corps, toutes ses excitations.
• Revenons aux reproches exprimés dans Sexpol. L'un d'eux disait
notamment : le savoir bio-énergétique est vendu très cher.
Qu'en est-il ?
- Thierry : Moi, j'ai payé 1500 francs pour un mois
; j'ai besoin d'un certain temps pour pouvoir m'engager à fond dans la
commune, vu que je vis en relation de couple depuis neuf ans, que ma femme n'est
pas venue avec moi à la commune et que je suis très « fixé
» sur elle. Et je trouve parfaitement normal d'avoir payé ça
car même quelqu'un de très enthousiaste peut, à la suite
d'un très grand blocage, partir subitement ; il a donc vécu en
parasite aux dépends de la commune. Là, je paie ma pension et
aussi une partie des travaux d'aménagement ; si je me casse j'aurais
au moins été utile à quelque chose. Je trouve ça
très bien.
• Tu vas payer 1500 francs pendant combien de mois ?
- Thierry : Je sais pas..., le temps pour me décider
de tout mettre en commun avec eux. Si je veux pas payer c'est fort simple, je
mets tout en commun avec eux.
• Qu'est-ce que tu mets à ce moment-là ?
- Thierry : Tout ce que j'ai puisque c'est la propriété
collective ; si j'ai rien, je mets rien ; si j'ai beaucoup, je mets beaucoup.
• Si t'as rien ou si t'as beaucoup, quelle différence ça
fait par rapport à ton statut de communautaire ?
- Thierry : Aucune. Dès le moment où je deviens
communard, je profite de tout ce que possède la commune.
• Et si tu t'en vas, tu retrouves ton blé ?
- Thierry : Non. Bien avant d'aller à la commune AA,
j'ai vécu en commune et je sais que si quelqu'un apporte du fric, même
pas mal de fric, si on veut pas que la commune risque de se casser la gueule,
il faut partir du principe que ce fric est abandonné à la vie
commune.
- Catherine : De toutes façons, les gens qui veulent
rentrer dans la commune font un mois d'essai à Vienne et un autre à
Genève.
• Comme chez n'importe quel employeur... Mais les gens qui ne peuvent
pas payer tout en paraissant avoir de solides motivations, qu'est-ce qui leur
arrive ?
- Louis : C'est cas par cas qu'on voit ces situations ; jusqu'à
présent ça ne s'est jamais trouvé qu'on dise à quelqu'un
: tire-toi, t'as pas de ronds. Ça n'existe pas.
• Quels sont les moyens économiques de la commune ?
- Catherine : On a un secteur productif : un magasin, une entreprise
de transport et de déménagement ; et puis on va ouvrir un bistrot.
- Louis : A l'origine, on est arrivés avec tous nos
biens, pas seulement de l'argent mais des fringues, des meubles, bouquins, disques,
etc. qu'on a commencé à revendre ; puis on a acheté deux
petites camionnettes pour faire des déménagements ; et on a très
peu de besoins — on va pas au bistrot, ni au cinéma, on ne boit pratiquement
pas d'alcool, sauf quand on nous en offre ; on bouffe bien mais sans luxe. Maintenant,
on cherche une deuxième « arcade » — c'est une boutique —
où on va vendre des jeans et des trucs comme ça. C'est du commerce
mais c'est un moyen de gagner de l'argent et d'avoir des contacts avec l'extérieur.
• Comment sont réparties les tâches, le boulot, etc.
?
- Judith : D'après tes envies ! Concrètement,
tous les soirs il y a une liste qui passe ; et il y a des responsables pour
chaque truc ; par exemple, Louis, pour l'instant, est responsable de la maison
qu'on est en train de construire, en France, juste à la frontière.
- Louis : Oui, on retape la maison ; y aura un petit restaurant
et on va peut-être remettre en route un four de village à côté
; on fera du pain pour nous, le resto et aussi pour le village ; on montera
peut-être aussi un atelier de sérigraphie. Le principe, c'est qu'à
chaque fois qu'on monte une production, on essaie qu'elle soit utile pour nous
et pour l'extérieur.
- Judith : II y a une forte organisation dans la commune :
tout le monde a une responsabilité avec faculté d'en changer selon
les désirs ; il y a un chef d'organisation qui supervise tout, puis des
responsables des différentes productions : magasin, transport, publicité,
bistrot, etc. ; puis des plus petits responsables, au jour le jour, pour la
cuisine, etc.
• En somme, au lieu d'aller travailler chez les autres, vous prenez
à votre charge de faire tourner votre entreprise sur le modèle
capitaliste, y compris avec ses hiérarchies.
- Louis : C'est vrai, on s'entend vraiment comme une entreprise
de production, exploitée par nous-mêmes et dont on est tous propriétaires
; c'est un exemple parfait d'autogestion.
• Ouais... De toutes manières c'est abusif de dire que votre
principale activité c'est, toujours selon le témoignage paru dans
Sexpol, « la baise et la musique »...
- Louis : Ah oui ! C'est tout à fait faux. La principale
activité, c'est la communication, c'est-à-dire : la baise, la
musique, le travail, la cuisine, tout. Baiser, c'est clair que c'est vachement
important.
• Qu'est-ce que vous entendez par travail ?
- Louis : Au sens courant, il n'y a pas de travail en ce qui
nous concerne ; pour nous c'est participer à la vie de la commune, c'est
autant réparer une étagère, faire un déménagement
ou bien la cuisine.
• Ça peut même être emmerdant ?
- Judith : Non, justement parce que le travail est complètement
différent ; avant je détestais travailler, maintenant je trouve
ça génial parce que quand je travaille, je communique complètement
avec les personnes de mon entourage ; on fait aussi des sdl en travaillant ;
c'est pas du tout « sérieux ». Et puis notre forme d'organisation
nous permet de travailler quand même beaucoup moins ; pour l'instant on
travaille à peu près autant que tout le monde parce qu'on a des
travaux en cours, mais en principe on ne devra plus travailler que quatre heures
par jour.
- Louis : Ce qui doit être clair, c'est qu'il n'y a pas
de dissociation entre travail et vie quotidienne ; c'est pas du travail astreignant.
• Vous êtes donc une trentaine à Genève; avec
quelle répartition des sexes ?
- Judith : C'est à peu près égal. On ne
vit pas en couples ; il y a autant de partenaires sexuels qu'il y a d'hommes
et de femmes ; tu dors avec qui tu as envie chacun demande avec qui il a envie
de dormir ; c'est pas les hommes qui demandent plus que les femmes, je dirais
même le contraire : les femmes ont plus d'initiatives de ce côté-là
que les hommes. On se choisit comme ça pour la nuit et à côté
de ça tu peux baiser avec qui tu veux, autant de fois que tu veux dans
la journée, même en travaillant.
• Vous dormez toujours par couples ?
- Louis : On dort dans les dortoirs ; enfin on est parfois
cinquante à dormir dans la même chambre. Mais les lits sont par
couples ; de toutes façons quand on baise, on baise à deux ; baiser
à trente-six, non, on n'a qu'un seul sexe !
• Ça se fait quand même : les partouzes ; mais pas chez
vous donc...
- Louis : Quand tu dors à côté d'un autre
couple, c'est clair que tu communiques et tout ; mais baiser délibérément
à plusieurs, non, ça ne nous vient pas à l'idée.
Au moment où tu baises, tu communiques intensément avec une autre
personne.
- Judith : Ça arrive parfois quand même mais ça
reste un jeu assez superficiel.
• C'est un point qui a été discuté ?
- Judith : ...on fait les choses quand ça vient ; alors
la discussion a lieu après, quand tout à coup quelqu'un dit :
ouais, hier soir il s'est passé ça et ça, et on en discute.
• Et les relations homosexuelles ?
- Louis : Ouais... Enfin, on a découvert dans la thérapie
qu'on avait tous un potentiel homosexuel très très fort que nous
on considère, entre guillemets, comme une « maladie » — mais
là on pourra en rediscuter — et il y a des rapports homosexuels, ça
arrive ; mais ils sont pris en tant que l'une des nombreuses névroses
subies dans notre enfance ; c'est-à-dire que t'as des gens qui sont homosexuels,
d'autres qui le sont plus ou moins, c'est pas une maladie particulière
plus honteuse, plus horrible qu'une autre, c'est notre maladie d'enfant de la
petite famille, d'enfants névrosés par la famille et la société.
- Judith : En dehors de ça, l'homosexualité n'est
pas bannie, au contraire : quand on se rend compte qu'on a des rapports homosexuels
ou qu'on en a envie, on apprend à l'exprimer le plus fortement possible,
à comprendre bien à fond, à s'en distancer et à
rire avec, à jouer ; pas à être complètement culpabilisé
ou totalement pervers.
- Louis : Si quelqu'un éprouve vraiment le besoin de
passer à la pratique homosexuelle, personne ne va l'en empêcher
; c'est lui-même qui fera son expérience et se rendra compte de
ce qui lui arrive...
- Judith : ... mais sans culpabilité spéciale
; c'est pas un banni ; c'est pas une tare ni quelque chose d'honteux ; pour
nous il y a démystification, dédramatisation de toutes les maladies.
• En quoi peut-on dire que votre sexualité s'est modifiée
?
- Louis : Personnellement, j'ai vécu six ans de mariage
avec une sexualité pas très satisfaisante mais avec des moments
bien et des moments moins bien ; quand je suis rentré dans la commune,
dans un premier temps, ça a été une libération totale
: pouvoir baiser avec des tas de femmes, c'était génial ! Puis
il s'est trouvé qu'à travers la thérapie j'ai senti monter
de plus en plus fortement une agressivité folle contre les femmes, une
agressivité qui remonte à ma mère et que j'ai reportée
sur toutes les femmes. Et pendant une période d'environ quatre mois,
j'ai été incapable de baiser correctement, je n'en avais même
aucune envie : les femmes me dégoûtaient. Et j'ai vraiment senti
à quel point j'avais été sexuellement foutu en l'air par
ma famille. Depuis maintenant environ un mois je commence à avoir une
sexualité beaucoup plus chouette, une sexualité comme je n'en
avais jamais connu ; c'est-à-dire que je suis capable de baiser avec
toutes les femmes de la commune en les voyant en tant que femmes, pour ce qu'elles
sont, et non plus comme avant où je baisais avec des tas de fantasmes,
où il fallait des symboles érotiques et des circonstances particulières
; et en fait je baisais essentiellement avec ma mère en projetant son
image sur celle de la fille avec qui j'étais ; je me suis souvenu, effectivement,
que depuis l'âge de 14-15 ans, j'ai toujours eu cette envie de baiser
avec ma mère, sans avoir évidemment jamais pu le faire, ni pu
l'exprimer. Et c'est maintenant, après avoir pris conscience de cette
agressivité dirigée contre ma mère, que j'arrive à
avoir une sexualité beaucoup plus épanouie.
• Tu dis « baiser » avec toutes les filles que tu veux.
Et elles, elles veulent toujours ?
- Louis : On est tous dans une phase analytique et tous en
train de se guérir de nos névroses et il arrive qu'une femme ait
pas envie de baiser avec moi ; à ce moment-là elle le dit et si
moi ça me touche, c'est que ça me rend agressif contre elle, que
te me sens refusé ; alors je peux l'exprimer, je me fâche ou des
trucs comme ça. En même temps, elle, elle peut aussi bien sûr
exprimer pourquoi elle a pas envie. Et à travers la sdl, elle peut tout
comprendre ; que, par exemple, son refus est venu de ce qu'elle projette son
père sur moi ; ou alors simplement que c'est le résultat de ses
lésions sexuelles, si on veut.
• Donc, selon vous, d'une part comme de l'autre, un refus de «
baiser » signifie qu'il y a un « problème » ? Ça
veut dire que tout individu mis en présence d'un autre, de sexe opposé,
doit s'accoupler ?
- Louis : Non, pas doit, mais je veux dire qu'on a
tous la capacité, la possibilité de communiquer sexuellement avec
qui que ce soit.
• Tu pourrais donc « baiser » avec n'importe laquelle
des filles de la commune, indépendamment des critères de beauté,
d'attirance ?
- Louis : Là aussi, les critères de beauté
j'y ai cru pendant des années et je m'aperçois aujourd'hui que
la beauté, c'est un masque ; t'as des femmes qu'on considérerait
comme laides, - elles sont grosses et tout - et puis en fait, qu'est-ce que
ça veut dire être beau, être laid ? Moi, si j'ai pas envie
de baiser c'est que la femme en face de moi n'est pas « gael »,
c'est-à-dire ni excitée ni excitante. Et aujourd'hui c'est comme
ça que ça se passe : si il y a une fille de la commune qui a envie
de baiser avec moi, j'ai envie de baiser avec elle.
• Et s'il s'agissait d'une femme comme celle-ci, qu'on voit dans le
film de Fellini, Satyricon, (voir la photo) tu la « baiserais
» ?
(Rires)
- Louis : Là tu prends un exemple vraiment monstrueux
! Disons que, par rapport à une handicapée, j'aurais encore de
très très fortes réticences, mais que je ne considère
pas comme normales ; ce genre de dégoût, je n'arrive pas à
le justifier.
- Judith : Moi, je baiserais absolument pas avec tout le monde
— en ce moment.
• Mais c'est l'objectif, l'objectif thérapeutique des Sdl ?
- Judith : Oui ! Une sexualité totalement épanouie qu'on puisse
étendre à tous les partenaires. Oui, alors, j'en suis sûre
! De plus en plus j'ai envie de baiser avec le plus de mecs possibles ; mais
c'est pas encore ça du tout. Moi, j'ai commencé, à cause
de ma famille libérale, à baiser à l'âge de 14 ans
et en fait j'étais complètement frigide ; je baisais, je baisais
très bien, tout ce qu'il fallait faire je le faisais..
• Qu'est-ce que ça veut dire « baiser très bien
» ?
- Judith : J'étais très technicienne, totalement
technicienne.
• L'orgasme, tu connaissais ?
- Judith : Non, pas du tout ! Sauf entre 10 et 14 ans où
j'étais tout le temps très excitée et où je jouissais
en me masturbant ; mais à partir du moment où j'ai baisé
dans la société, j'ai cessé d'être excitée
; je le faisais pour faire plaisir à l'autre ; j'étais très
objet sexuel, en faisant croire que je jouissais, etc. Dans la commune, je suis
restée un mois comme ça et puis, depuis très peu de temps,
je réussis à jouir à peu près à chaque fois.
Mais tout n'est pas résolu.
- Thierry : Moi, je suis dans une phase de début. J'ai
en particulier pris conscience de ma sexualité totalement perverse, pornographique,
malade ; une sexualité que je ne pouvais exprimer qu'à travers
mes agressions envers les femmes ; maintenant que ces agressions remontent à
la surface, j'ai plus du tout envie de baiser : pas excité ni excitable.
Mais je me sens très bien comme ça parce que c'est la première
fois de ma vie que je me sens pas forcé de baiser. Culturellement, je
me sentais obligé de baiser parce que j'étais un mec qui devait
prouver sa virilité, qui bandait.
• Tu dis que tu n'as plus envie de « baiser » avec des
femmes ; ça veut dire que t'as envie avec des hommes ?
- Thierry : Un peu, mais c'est pas très fort.
• Et toi Catherine ?
- Catherine : Oulala ! Ben moi, si j'étais restée
dans la société, je crois que j'aurais jamais baisé. Et
puis, voilà que je baise avec presque tous les mecs ; mais je sens qu'avec
certains mecs, ça me fait monter une dose d'agressivité dingue
: je projette sur eux, ou bien mon père ou bien mon frère.
• Ce qui peut paraître gênant, c'est que pour vous la
« baise » serait seulement un moyen de se débarrasser, de
se nettoyer, de faire de l'hygiène. Ce n'est déjà pas si
mal, direz-vous. Mais la sexualité n'a-t-elle d'autre but qu'elle-même,
c'est-à-dire le plaisir ?
- Catherine : Là, je parlais des choses négatives
; mais il y a de plus en plus de mecs avec qui je prends mon pied en baisant,
avec qui je jouis, avec qui je communique complètement.
• II y a aussi des enfants dans votre commune ; comment se font-ils
? Qui décide alors ?
- Catherine : Tous ensemble... Par exemple, il y a quelques
semaines, une fille a eu envie d'avoir un gosse ; pas immédiatement,
non, mais elle disait qu'elle se sentait capable d'en avoir un ; alors elle
en a parlé à tout le monde et les gens disent ce qu'ils pensent.
Alors elle va choisir le mec avec qui elle a envie de faire ce gosse ; et puis
voilà.
• Donc il y a un père et, évidemment une mère
: des parents en somme...
- Louis : En général, la femme dans ce cas ne
choisit pas un type ; elle dit : voilà, avec untel, untel, untel j'aimerais
avoir un enfant ; elle va donc pas baiser avec un seul type pendant un mois
pour être bien sûre que c'est bien lui qui aura fait l'enfant, mais
il y aura de fortes probalités pour que ce soit celui qu'elle aura choisi.
• Toutes les femmes sont sous contraception, et uniquement les femmes
?
- Catherine : Oui, on applique la nouvelle méthode des
températures...
• Hein ? nouvelle méthode !!!...
- Catherine : Ouais, enfin, on essaie de l'appliquer mais on a toutes des stérilets
pour l'instant. On commence à faire des essais pour voir lesquelles sont
régulières. Et petit à petit on va enlever nos stérilets.
• Pourquoi ?
- Catherine : C'est beaucoup plus naturel sans.
- Judith : Moi, je suis incapable de faire cette méthode
parce que j'ai trop de problèmes sexuels pour ne pas avoir d'ovulations
n'importe quand. C'est les gens à Vienne qui ont commencé ça
parce qu'ils ont remarqué qu'ils étaient très réguliers
dans leurs cycles. Ils ont un corps qui fonctionne incroyablement mieux.
• Pas de contraception masculine ?
- Louis : Non. Momentanément quelquefois, quand il y
a des risques de maladies, on baise avec des capotes.
• Pas de vasectomie ?
- Louis : On n'a aucune envie de faire quelque chose d'irréversible
et on ne tient pas que des types, tout à coup, ne puissent plus faire
d'enfants. Ce qu'on aimerait bien vérifier, même d'ici quelques
années, c'est l'hypothèse selon laquelle une femme vraiment libérée
de tensions, de contraintes, etc., serait capable de sentir, sans même
recourir au thermomètre, le moment où elle est en ovulation.
• Maintenant, pour les enfants vivants, comment ça se passe
?
- Catherine : On va parler de Vienne, parce que nous, à
Genève, pour le moment, on n'a qu'un enfant d'un an. A Vienne donc, la
mère est toujours disponible pour le gosse ; elle l'allaite aussi longtemps
qu'il veut ; à part ça il y a une liste où des gens s'inscrivent
pour être avec le gosse le matin, l'après-midi ou le soir ; pas
pour le surveiller ou le garder comme ça, mais pour communiquer, jouer
avec lui, essayer de comprendre ses désirs et de le satisfaire complètement
sans qu'il ait besoin de hurler pendant une heure pour se faire comprendre ;
et puis la mère est là aussi.
• Et du point de vue de la sexualité de l'enfant ?
- Louis : C'est une liberté absolument totale : la sexualité
infantile est reconnue et à aucun moment on intervient ; s'il a envie
de se tripatouiller le zizi pendant des heures il le fait ; il arrive même
que s'il prend beaucoup de plaisir pendant qu'on le lave, on continue ; et puis
s'il en a marre, on arrête. A aucun moment on n'intervient contre sa sexualité.
• Et pour ? Je veux dire en plus des simples caresses de toilette ;
au niveau de la sexualité des adultes en particulier.
- Judith : A Vienne, les enfants tètent encore leur
mère à deux ans passés et ça prend des aspects très
nettement sexuels ; ça arrive qu'ils bandent ; la mère est souvent
nue et ne refuse absolument pas.
• Par rapport à l'inceste ?
- Louis : C'est un problème assez délicat ; nous,
on considère que le désir d'inceste vient de la répression
de la sexualité de l'enfant ; un enfant qui aurait vécu une existence
sexuelle totalement saine, totalement normale, ne devrait pas avoir de désir
particulier de baiser avec sa mère. Mais je pense que si le cas se présentait,
il ne serait pas réprimé.
- Judith : Les enfants dorment avec nous, ils nous voient faire
l'amour, ce n'est pas caché du tout.
• Est-ce que vous êtes considérés par votre voisinage
comme des gens sales ?...
- Louis : Des tas de gens de passage disent : hou ! ce que
c'est crado chez vous ! Ils veulent dire que c'est en désordre : on vit
à trente dans quatre pièces, alors, une heure et demie après
le ménage du matin, il y a du bordel ; en fait il n'y a pas de saleté.
• Et vous-mêmes, quand vous n'êtes pas de visite à
Sexpol ?
- Louis : On est conscients des lésions anales qu'on
a tous subies par excès de propreté la plupart du temps ; alors
on fait pas d'excès de zèle mais on veut pas nager dans la crasse
parce que t'attrapes vite des maladies.
- Judith : Pour des raisons d'hygiène, on est obligés
de se laver très souvent ; on change de slip tous les jours ! On fait
gaffe parce qu'avec la libre sexualité, on chope vite des maladies.
• Vous en avez beaucoup ?
- Louis : Une blenno de temps en temps. C'est pour ça
qu'on exige des certificats médicaux des nouveaux arrivants et qu'on
baise pas à l'extérieur.
• C'est obligatoire ?
- Louis : Ouais.
• Sinon ?
- Louis : Si la personne ne le dit pas, ça veut dire
qu'elle a peur du groupe. Si elle le dit, faut qu'elle refasse les examens.
• Au niveau de la santé générale, pas seulement
vénérienne, comment êtes-vous ? Est-ce que vous avez des
maladies ?
- Louis : Ce qu'il y a de fréquent, c'est des angines
; c'est des maladies très très liées à la thérapie
: tous les nouveaux chopent une angine au bout de quinze jours — même
nous on en fait régulièrement. A part ça, des trucs psycho-soma-tiques,
mais qui prennent parfois des proportions telles qu'il faut recourir à
la chimio-thérapie — c'est le cas d'un copain qui fait un ulcère.
- Catherine : De plus en plus on devient sains ; mais quand
la cuirasse pète un petit peu, des émotions commencent à
sortir et parfois se bloquent.
- Louis : Depuis une année on n'a eu aucune maladie
grave disons classique ; on n'a eu que des maladies qui étaient évidemment
psycho-somatiques.
• Y a-t-il des maladies qui ne soient pas psycho-somatiques ? Mais
qu'est-ce que vous faites concrètement quand il y a un malade ?
- Louis : L'angine, on la soigne comme une angine, c'est-à-dire
aux antibiotiques; enfin, quand c'est vraiment nécessaire ; autrement
le bleu de méthylène quoi...
• Maintenant, Otto Mühl, est-ce que c'est vraiment le chef ?
- Louis et Judith, unanimes : Oui !
(rires).
- Louis : Mühl, c'est le type qui a fondé la commune
à Vienne, qui est manifestement la personnalité la plus avancée
de nous tous — il a dans les cinquante ans. Il est considéré comme
celui qui a mis tout au point, qui invente le plus et qui est tout le temps
en train d'inventer ; il est ce que nous on appelle le chef de la communication.
A Vienne, c'est lui ; à Genève y en a un aussi, c'est Cedric.
C'est le plus sain qui est le chef, c'est évident.
• Est-ce qu'il a un, ou plusieurs successeurs possibles, Otto Mühl
?
- Louis : Difficile à dire ; à Vienne il y a
plusieurs personnes très très positives, qui sont allées
de plus en plus loin dans la conscience de groupe, dans la thérapie,
qui ont pratiquement résolu tous leurs problèmes...
- Judith : C'est une hiérarchie de la conscience.
- Catherine : Quelqu'un qui est très positif, c'est
sûr qu'il sera beaucoup plus dominant.
• Donc, vous admettez l'existence de leaders comme Otto Mühl.
- Louis : Absolument.
- Judith : Mais on pense que plus on ira loin, moins il y aura
de leaders.
- Catherine : C'est sûr que si on était totalement
sains y aurait aucun chef.
- Louis : II n'y a leader qu'à partir du moment où
il est choisi comme leader ; c'est-à-dire quand les gens se projettent
positivement sur lui. Il y en a qui se donnent un gourou, d'autres un bon dieu,
d'autres des chefs, etc.
• C'est la même chose tout ça ?
- Louis : Moi je pense que c'est à peu près la
même chose.
- Judith : Pour moi, Otto c'est quelqu'un de très important
qui, à mon avis, en sait beaucoup.
• Quel contrôle exerce-t-il en tant que chef de l'AAO, sur la
commune de Genève ?
- Judith : Aucun. Il n'a aucun pouvoir.
• Et qui décide de l'appartenance d'une commune à l'AAO
? N'importe qui peut faire une commune AA ?
- Louis : C'est clair que oui.
• Et ces « selbsdarstellung » ?
- Louis : Concrètement, ça se passe comme ça
: toute la commune se retrouve tous les soirs et chacun qui en a envie, en ressent
le besoin, va au milieu du groupe et exprime ce qu'il ressent. Ça se
joue comme une espèce d'opéra ; c'est-à-dire que tu exprimes
d'une manière émotionnelle — au début ça ne l'est
pas toujours, mais ça le devient souvent — tout ce qui passe par la tête,
ce que tu sens, ce que tu as vécu dans la journée ou dans ton
enfance : tu te montres intégralement tel que tu es, en essayant de ne
pas tricher, de ne pas te donner un masque qui n'est pas le tien. Le but des
sdl, c'est d'en étendre la pratique à la vie quotidienne : d'être
capable de ne jamais rien réprimer mais d'exprimer toujours ce que tu
sens, ouvertement.
• On voudrait aussi faire ça dans des milieux d'affaires modernistes,
du moins dans les moments dits de « créativité » ;
en quoi vous vous en démarquez ?
- Louis, Judith : On ne sait pas ce que c'est ; le psychodrame,
j'en ai jamais fait.
• Justement, si c'était ce que vous faites sans le savoir ?
- Louis : Ça ne peut pas être ça puisque
le Sdl, c'est totalement spontané et que ça ne recourt pas à
des spécialistes qui sont là en face de toi pour jouer un rôle
- ce qui doit être le cas dans les psychodrames.
- Catherine : Le psychodrame, comme je le connais, c'est des
gens qui se rencontrent comme ça une fois par mois pour régler
leurs petits problèmes qui n'intéressent qu'eux ; et qui en profitent
simplement pour décharger ou essayer de décharger ce qui leur
pèse et vivre encore plus dans la société, sans la changer.
• Alors, comment intervenez-vous sur le milieu extérieur ? Est-ce
que la révolution, pour parler vite, vous intéresse ?
- Louis : Bah oui, elle nous intéresse,... mais nous
on la fait, on la vit quoi ; on ne la théorise pas, on ne fait pas des
meetings pour appeler les gens à la révolte ; on leur dit : venez
vivre avec nous et puis vous la vivrez, la révolution.
- Judith : La révolution on la fait d'abord chez nous,
en nous ; c'est là qu'elle commence.
- Louis : Actuellement nous sommes plus de 200 en Europe à
vivre cette révolution ; ce n'est déjà plus un problème
de communautés, mais d'organisation, dans la perspective de vivre ça
à 5, 10 000 et... le monde entier.
• Comment traduire ça en termes politiques ?
- Louis : On a la vie la plus politique.
• Dans quel pays voudriez-vous vivre ?
- Louis : Les pays où on vit actuellement, où
on peut vivre, c'est ceux à régimes libéraux ; stratégiquement
et par intérêt direct on les soutient plutôt.
• Vous avez une idée de la façon dont vous allez vieillir
dans la commune ? Et puis, y resterez-vous ?
- Catherine : Vieillir, c'est se développer.
- Louis : On espère au moins atteindre 80 ans !
- Judith : Et on est sûrs de ne pas avoir de cancer !
Recueilli par Monique DELATTRE et Gérard PONTHIEU
Notes :
1. Flashé : ébloui. Le mot est très en vogue chez les usagers
de drogues diverses (NDLR).
2. Le cri primal, de A. Janov (Flammarion).
3. Secte mystique d'origine extrême-orientale. Certains de ses adeptes
s'agitent en Europe et en particulier à Paris.