(Payot, Paris, 1972. Première publication en 1932.)
La clinique des névroses met en lumière le refoulement des pulsions sexuelles. Ni la maîtrise, ni la sublimation de ces pulsions ne peuvent
guérir la névrose. Seuls le rétablissement de la génitalité et de la satisfaction sexuelle génitale peuvent y parvenir. Or les conditions
sociales (la morale sexuelle) s’y opposent généralement. « Les conditions sociales provoquent les névroses pendant l’enfance et s’opposent à leur
guérison à l’age adulte ». Reich pose les questions suivantes : « quelle est la fonction sociale de l’éducation familiale et du refoulement sexuel
qu’elle provoque ? », « quel avantage la société retire-t-elle du refoulement sexuel ? », la morale et l’organisation familiale sont-elles
immuables ?
Avant Malinowski les ouvrages ethnographiques ne tenaient pas compte des expériences psychiques internes ni des rapports entre vie sexuelle et
économie. Grâce aux recherches de celui-ci il devient possible d’aborder l’aspect ethnographique du problème de l’économie sexuelle.
Dans la première partie (« L’origine de la répression sexuelle ») Reich
oppose la misère sexuelle de la société autoritaire-patriarcale, composée en quasi-totalité de névrosés et de pervers avec le mode de vie des
Trobriandais où la masse des individus jouit de la puissance orgastique.
La sexualité y est valorisée, elle est libre (à l’exception de l’inceste),
tout individu à accès à la satisfaction, on n’y observe ni névroses ni perversions.
Du point de vue de la propriété des moyens de productions, le régime est celui du communisme primitif, les échanges se font par le troc. Du point
de vue politique le régime est ploutocratique. On observe la coexistence d’éléments patriarcaux (la propriété est attribuée aux hommes) au sein
d’une structure matriarcale.
Reich analyse les échanges économiques : il montre que le mécanisme central du processus de transformation du matriarcat en patriarcat est la
dot (qui est en fait un tribu) versée par le frère de l’épouse à l’époux.
Le mariage en lignage croisé s’avère être une façon de conserver la richesse, provenant des tribus dotaux versés, dans la famille, notamment
pour les chefs qui sont polygames. Le mécanisme patriarcal se révèle par les possibilités indirectes dont dispose le père, surtout s’il est chef,
de transmettre son bien à son fils, à l’encontre de la coutume matriarcale (transmission au neveu). Ainsi parvient-on à un début « d’exploitation »
du clan de l’épouse par celui de l’époux. Au décès de l’époux, le clan de
l’épouse surjoue la douleur et impose un deuil très sévère à l’épouse,
dénotant, d’une façon réactionnelle, la haine vouée au clan de l’époux
exploiteur.
Par ailleurs l’étiquette qui refoule la sexualité entre époux ainsi que l’institution d’un mariage avec exclusivité sexuelle sont des éléments
servant au maintien de ce lien social. Finalement la coutume apparaît comme donnant un ancrage idéologique à la situation économique dont elle
est issue.
Seuls les jeunes destinés au mariage entre lignage croisés sont tenus à la chasteté préconjugale. Ceci à pour but de les préparer au mariage imposé,
monogame, pour la vie entière. Dans d’autres sociétés, lorsque cette forme de mariage se développe apparaît l’excision. Elle est ensuite remplacée à
des stades plus élevés du patriarcat par la suppression de la sexualité
infantile.
Reich réfute l’hypothèse de l’antériorité du patriarcat défendue par les
auteurs réactionnaires. Il se rallie à la position de Morgan et Engels concernant l’antériorité du matriarcat.
Le passage au patriarcat à lieu à partir du moment où le chef a accumulé des biens qu’il souhaite alors transmettre à son fils.
Reich explore un ensemble des données ethnographiques concernant diverses populations indigènes ou de l’antiquité pour montrer la généralité du
système clanique. Il démonte en particulier le système apparemment très complexe des classes de mariages chez les aborigènes d’Australie en
montrant qu’il se ramène au mariage entre lignages croisés.
Reich présente une hypothèse de l’origine de l’organisation clanique et de
l’exogamie : à l’origine des groupes nomades incestueux se côtoient et pratiquent au cours de leur expéditions de chasse des rapts de femmes dans
les groupes voisins. Puis, la densité de population augmentant, ces différents groupes sont amenés à conclure des alliances respectant le
principe de l’échange des femmes entre groupes, issu des rapts. Ainsi des clans exogames s’assemblent en une tribu, le frère y continue d’entretenir
sa sœur (comme dans le groupe incestueux d’origine). La hiérarchie que l’on observe entre les clans découle des conditions de l’alliance entre
vainqueurs et vaincus.
Cette hypothèse s’oppose à celle de Morgan qui pensait que les clans se formaient à partir d’une division de la tribu.
On trouve des traces des rapts originaires dans le rituel de la demande en mariage à Samoa ou dans la pratiques des viols vengeurs imposés aux hommes
étrangers par les femmes du Sud des îles Trobriand.
Reich réfute l’idée de Morgan et Engels faisant dériver l’interdit de l’inceste du mécanisme de la sélection naturelle (idée provenant de
Darwin).
Enfin Reich critique l’hypothèse originaire développée par Freud dans Totem et Tabou :
Pour Reich les découvertes psychanalytiques telles que la jalousie, l’ambivalence,
l’envie du pénis, etc. sont les fruits d’une évolution historique. Elles ne
peuvent être transposées aux indigènes qui vivent et grandissent dans
des conditions tout à fait différentes des nôtres.
Le complexe d’Œdipe apparaît comme bien plus récent que la répression sexuelle. L’inceste réel est attesté aux temps anciens. Les légendes de
l’origine des Trobriandais mettent en scène un inceste entre frères et sœur et non entre mère et fils. Enfin l’interdit de l’inceste porte sur le
clan tout entier et non sur la famille qui elle est apparue plus tard.
Concernant le Totem, l’erreur commise par Freud est de mettre sur le même plan interprétation et genèse. Le sens latent actuel d’une représentation
mythologique ou religieuse doit être inséré dans le contexte historique du processus social. Il doit être appréhendé par sa genèse et sa fonction
économique et sociale.
Dans la seconde partie (« le problème de l’économie sexuelle ») Reich indique que deux processus ont lieu simultanément au moment du passage du système matriarcal au système patriarcal :
Ces processus marquent l’origine de la propriété privée et de la stratification sociale.
Cupidité et compulsion d’accumulation de biens se développèrent au détriment des intérêts génitaux.
La répression sexuelle n’est pas inéluctablement liée à l’évolution de la
société humaine, elle s’insère dans une phase économique et sociale déterminée par cette évolution.
A partir des écrits de Karl Marx, Reich met en parallèle le besoin alimentaire et le besoin de satisfaction sexuelle. (Il n’existe pas de «besoin » de procréation, de maintien de l’espèce.) Dans tous les cas une
tension pousse (« pulsion ») a rechercher une détente. De même que l’on
parle d’économie de l’alimentation il y a lieu de parler « d’économie sexuelle ».
L’économie sexuelle de l’individu dépend de l’économie sexuelle de la société. Elle peut être « ordonnée » c'est-à-dire permettre la
satisfaction génitale ou « désordonnée » (névrotique).
Le besoin sexuel ne peut être écarté de la sociologie, c’est un élément de
base (au sens de Marx). De plus la « capacité de travail » est essentiellement de l’énergie sexuelle transformée.
La société autoritaire règle le problème de la satisfaction des besoins sexuels
en fonction de certains intérêts économiques. Seule une société fondée sur la
domination d’hommes cuirassés trouve son intérêt à réprimer la sexualité en
vue de maintenir ses institutions essentielles : le mariage monogame permanent
imposé et la famille patriarcale. Les troubles psychiques ainsi déclenchés sont
la manifestation d’une économie sexuelle perturbée.
La morale anti-sexuelle dote les individus, nivelés dans la masse depuis leur plus tendre enfance, de structures psychiques les prédisposant à
travailler pour les intérêts des classes dominantes. La famille patriarcale devient la fabrique d’idéologie la plus importante, le premier
soutien de la société réactionnaire et de l’autorité.
La sphère de production de la morale appartient au groupe des puissants.
La nouvelle morale doit être acceptée par tous les membres de la société : cela s’opère par la modification de la structure caractérielle grâce à la
peur de la punition sexuelle. L’impulsion sexuelle est refoulée. Le conflit devient intrapsychique : la morale sociale s’est ainsi reproduite
dans l’individu. A son tour celui-ci agit sur ses descendants en fonction de son attitude morale, tandis que la situation socio-économique se
maintient avec les mêmes exigences. Cette morale sociale ancrée (la cuirasse caractérielle) dans tous les individus réagit sur la base
socio-économique dans un sens conservateur.
Ainsi la colonisation apporte-t-elle aux indigènes la mentalité d’esclave
nécessaire à leur exploitation.
Mais la répression sexuelle porte en elle le germe de la rébellion sexuelle de la jeunesse…
Dans l'appendice ajouté en 1934, Reich critique le travail de
Géza Roheim "Psychanalyse des cultures primitives" publié en 1932.
Roheim est un psychanalyste freudien ayant effectué un voyage en Australie et en Mélanésie afin d'appliquer la méthode analytique aux indigènes.
Reich lui reproche précisément le caractère prédéterminé de son projet (prouver
l'universalité du complexe d'Oedipe, du coup il en voit les manifestations partout
!) ainsi que le fait d’avoir pensé inférer de l’analyse de rêves d’indigènes peu coopératifs des règles concernant la société. De plus
Roheim ne décrit pas les structures économiques et sociales des sociétés qu’il étudie.