(Payot, Paris, 1975. Les numéros de pages se réfèrent à l'édition Payot & Rivages, 1999)
A la source de ce qui s'offre aujourd'hui, plantureusement, sous le nom d'éducation sexuelle, il y a une forte et vivace revendication de libération sexuelle ; et à nommer, nourrir, stimuler, donner formes, voix et figures à ce besoin de libération — Reich. Mais de ce dernier à la prétention moderniste d'enseigner le sexe, quelle distance !
[...]
Mystiques et mécanistes, dans leurs variantes autoritaire ou libérale ou même
gauchiste, se partagent solidairement le terrain éducatif. Quiconque tente une
percée dans une direction non-conforme, allant voir par exemple du côté de Reich,
est immédiatement sanctionné. L'école, moins que toute autre institution, ne
peut être un lieu sexuellement neutre — sa fonction étant précisément d'accomplir
une profonde désexualisation amorcée, mais de manière parfois ambiguë,
dans le milieu familial. De la maternelle au lycée et même l'université, l'absence
d'éducation sexuelle est une forme sournoise et forte d'éducation à l'absence
de la sexualité, une façon active de vivre la sexualité comme absence, comme
un ailleurs inaccessible et innommé, comme la chose autre figée dans une permanente
altérité. « Le sexe entre à l'école », titrait un livre récent : il y est toujours
entré, il n'en est jamais sorti, ancré en creux, vécu à perte, semi-définitive
latence.
Qu'une présence aujourd'hui s'y esquisse, elle a beau être illusoire et leurre,
jeu joué d'avance de réponses et questions concoctées par d'adultes maturités,
elle n'en exprime pas moins, faible écho, la pression efficace d'une exigence
vitale. Tout donne certes à penser qu'une éducation sexuelle scolaire sera à
la sexualité ce qu'une instruction civique officiellement programmée fut à la
réalité historique et concrète de la lutte des classes et des épouvantables
violences institutionnelles et politiques. Mais peut-être vaut-il la peine d'accélérer
le mouvement, de le pousser à fond pour que s'exposent les inévitables barrages
politiques et idéologiques, pour que se débusquent les terreurs avouées ou secrètes
de la sexualité — en faisant prévaloir sur la mécanique des réponses stéréotypées
la dynamique subversive d'un questionnement insatiable ; sur les échappatoires
et détournements du verbalisme savant ou séducteur les problèmes précis et toujours
affleurants d'une pratique sexuelle libre et autorégulée des enfants et des
adolescents — bref, sur une éducation sexuelle tranchée, unilatérale, parcellaire
et clôturante, les ruptures hardies et articulations saisissantes, les éclats
et ouvertures, les intensités et débordements rationnellement réglés de l'économie
sexuelle de Reich — vivace ressourcement.
Reich, La lutte sexuelle des jeunes, Maspero, 1972. Manuel d'éducation sexuelle, S. U. D. E. L., 1972. M.-C. Mondiaux, La vérité sur les bébés, La vérité sur l'amour, Magnard, 1970-1971. H. Portnoy et J.-P. Bigeault, Le sexe entre à l'école, Magnard, 1973. Cohen, Kahn-Nathan, Masse, Tordjman et Verdoux, Encyclopédie de la vie sexuelle, 5 vol., Hachette, 1973. Tony Duvert, Le bon sexe illustré, Minuit, 1974. Dominique Wolton, Le nouvel ordre sexuel, Seuil, 1974.
« Je peux vous affirmer qu'après vingt-cinq années d'une pratique
psychiatrique large et intensive, c'est vraiment comme un tout jeune débutant en
psychiatrie que je découvre pour la première fois la véritable nature du
nouveau-né. Comment ne pas être à la fois confondu et effrayé de constater à
quel point notre psychiatrie fanfaronne ignore les toutes premières choses de la vie humaine... En vérité, je n'aurais jamais pensé qu'on savait si peu de chose sur les nouveau-nés... Il m'a fallu plusieurs semaines pour comprendre ce que le
bébé voulait quand il se mettait à pleurer. »
Par ces quelques lignes adressées à son ami A. S. Neill, et extraites de la
lettre qu'il lui écrit quelque temps après la naissance, en 1942, de son troisième
enfant, Peter, mis au monde par Ilse, Reich n'exprime pas seulement sa légitime
stupéfaction devant une des carences les plus massives et les plus significatives
de la science, de la médecine et de la psychologie contemporaines — il révèle
un intérêt très vif pour le nouveau-né, qui va aller croissant et occuper une
place centrale dans ses préoccupations.
[...]
Après de longues et studieuses consultations, entreprises 1940, avec des médecins,
pédiatres, éducateurs, puéricultrices et travailleurs sociaux passionnés des
problèmes de petite enfance, Reich fonde en 1949 l'Orgonomic
Infant
Research Center (Centre ergonomique de recherches sur la petite enfance), dont l'ambitieux programme,
au départ, ne vise à rien moins qu'à couvrir la totalité de la réalité enfantine
au sens large, depuis la période pré-natale jusqu'à l'adolescence. [...]
[...]
Pourrait-on, dès maintenant, envisager une naissance sans violence ? C'est l'opération entreprise par les collaborateurs directs de Reich au Centre
orgonomique de recherches sur la petite enfance — et c'est surtout, pour nous, le projet, typiquement reichien sans le vouloir, de Frederick Leboyer, exposé dans son livre
Pour une naissance sans violence. Riche d'une longue expérience de la naissance — quelque dix mille accouchements assistés — Leboyer décrit en termes saisissants ce qu'est une naissance dans la violence institutionnelle, entre les mains d'un pouvoir médical omnipotent — « ce supplice, ce calvaire, ce massacre d'un innocent », « cette abominable odyssée », il nous demande de voir ou d'entendre « ce masque d'angoisse, d'horreur », « ce hurlement d'agonie »...
La « naissance sans violence » qu'il propose a la lumineuse simplicité d'une pensée reichienne — elle ne réclame rien d'autre qu'un strict
respect de la personne totale de l'enfant : de ses sens, qu'il faut éviter de heurter, de brutaliser, d'agresser par des bruits, des lumières, des attouchements violents ; de sa
peau, qu'il convient de caresser, de masser tendrement, de son dos qu'il faut soutenir, de son
équilibre et de son bien-être qu'il faut restaurer par des bains légers et pacifiants, de sa
respiration, force vitale qu'il faut ménager... Et entre la mère et le nouveau-né doit être préservé, à l'abri des interventions et des contraintes extérieures quelles qu'elles soient,
ce que Reich nommerait la libre circulation des flux orgonotiques complémentaires.
« Nous avons vu à l'Orgonomic Infant Research Center, écrit Reich dans Le meurtre du Christ, de ces traits « divins » dans de jeunes enfants, traits qui ont été considérés jusqu'ici comme l'objectif idéalisé et inaccessible de toute religion et de toute morale. » Ces traits « divins », Leboyer les montre,
photographiés, éblouissants d'évidence, visages de nouveau-né où affleure le sourire de Bouddha. Et, reichiennement christique, Leboyer évoque « cette grâce surabondante » qui « rayonne en silence », « qui auréole chaque enfant qui arrive parmi nous. »
Rien n'est plus redoutable que d'inciter les « gens raides » à bouger et se pencher, pour voir ce qui est là et qui crève les yeux. La cuirasse, la mécanique, aussitôt grince — et surgit toujours quelque mégère à la Brady qui appelle au lynchage, qui hurle à la mort, qui réclame le bûcher. Boycotté et interdit par l'institution médicale, Leboyer se voit interpellé par une journaliste vulgairement oublieuse de l'histoire récente et qui Ordonne : « Faites un autodafé de vos livres. Et l'on vous oubliera vite, Monsieur Leboyer. »
[...]
Dans son testament, rédigé le 8 mars 1957, quelques mois avant sa mort, Reich
demandait que tous ses biens soient rassemblés dans un fonds « géré et administré
sous le nom du « Wilhelm Reich Infant Trust Fund » — Fondation Wilhelm
Reich pour l'Enfance, et que 80 % de tous les revenus et bénéfices sur les droits
provenant de ses découvertes soient « consacrés à la protection de l'enfance
partout dans le monde ».
Reich, La révolution sexuelle. Le meurtre du christ. Écoute,
petit homme (notamment, dessins de William Steig). Frederick Leboyer, Pour
une naissance sans violence, Seuil 1974. Bernard This, Naître,
Aubier Montaigne 1972. Journal ELLE, n° 1469, 1974. Use Ollendorff
Reich, op. cit. David Boadella, op. cit., ch. VIII, Free Growth.
Romain Rolland, L'Ame enchantée, t. I, Livre de poche 1963.
A. S. Neill, Libres enfants de Summerhill, Maspero 1970. Jacob H. Schmid,
Le maître-camarade dans la pédagogie libertaire, Maspero 1973. Robert
Skidelsky, Le mouvement des écoles nouvelles anglaises. Maspero 1972.
K. Sadoun, V. Schmidt, E. Schultz, Les « boutiques d'enfants » de Berlin,
Maspero 1972. Jacques Fresco, Les bagnes d'enfants, dieu merci, ça n'existe
plus, Maspero 1974. Collectif, Pour ou contre Summerhill, Petite
bibliothèque Payot, n° 194. Véra Schmidt, Éducation non répressive,
in Partisans, n° 46, fév.-mars 1969, et Petite collection Maspero,
n° 145, 1975.
Cf., cités par Boadella, ces textes très précieux :
Paul et Jean Ritter, The Free Family, Gollancz, London 1959. Felicia
Saxe, « Armoured human being versus the healthy child », Annals of the Orgone
Institute, I, 1947. Nic Waal, « A spécial technique of psychotherapy with
an autistic child », Energy and Character, vol. I, n° 3, sept. 1970.
Chester Raphaël, « Orgone treatment during labour ». Orgone Energy Bulletin,
vol. 3, n° 2, 1951. Michael Silvert, « Orgonomic practice in obstetrics », Orgonomic
Medicine, vol. I, n° 1, 1955. Tage Philipson, « Sex-economic 'upbringing'
», International Journal of Sex-economy and Orgone Research, I, 1942.
Lucille B. Dennison, « The child and his struggle », Int. J. of Sex-ec.
and Org. Research, vol. 4, 1945. Elsworth Baker, « Genital Anxiety in nursing
mothers », Orgone Energy Bulletin, vol. 4, n° 1, 1952.
© Payot.
Lire aussi deux autres extraits : Démocratie du travail et Peste émotionnelle. Ainsi que la préface de la réédition : Qui a peur de Wilhelm Reich ?
Sur la naissance, lire le dossier paru dans le journal Fakir "Vie ma vie de parturiente" (partie 1, partie 2). Lire également des extraits de textes concernant le maternage.